du 14.10 au 30.10























Une exposition de Sebastian Wiegand
sur une invitation de Rosa Joly.
L‘exposition Horoscope Junkie de Sebastian Wiegand présente six peintures figuratives habitées par un ou plusieurs personnages.
Pour quatre d‘entre elles, ils sont réunis dans une pièce d‘appartement, ou du moins ce qui ressemble à un intérieur.
Chacun vaque à ses occupations, certains sont allongés et semblent dormir, d‘autres regardent un film avec
Gena Rowlands, ou encore l‘un d‘entre eux lit l‘horoscope sur son téléphone.
En tout cas, ils sont ensemble, et c‘est ce qui compte. Ils ne sont pas loin les uns des autres, et parfois ils sont en contact physique direct.
Ces moments représentent des scènes quotidiennes plutôt banales. Pourtant, il y a quelque chose qui cloche.
Les couleurs, les coups de pinceau, les objets, l’expression des visages et les attitudes de chacun, tout dans ses tableaux traduit quelque chose d‘étrangement chargé et pourtant planant, immédiat et pourtant lointain.
C’est comme si à l’intérieur de la toile s’était glissé un interstice où circule un lien invisible et non rationnel entre les êtres, tel un espace métaphysique qui, bien qu‘insaisissable, existe indéniablement – parce que malgré tout, on ne peut pas vivre sans lui.
Avec la toile Die Erben (Hermit) , Sebastian Wiegand ouvre une trappe directement dans le passé.
Un homme barbu du type ermite émergeant d’un sous-sol semble arrivé tout droit d‘un siècle révolu, un peu comme le Doc de Retour vers le futur (1985).
À ses côtés, un jeune homme est allongé, à moitié rêveur, les yeux entrouverts.
Sa tenue, short et tee-shirt, le place résolument dans l‘époque actuelle, tout comme le troisième personnage
assis sur le sol en face de l‘ermite. La pièce est baignée d‘une lumière chaude, imprégnée de tons jaunes, bruns et orangés, caractéristiques des tableaux de cadavres de tourbières que Wiegand a peints en 2021. Au-delà de cette référence, la lumière témoigne également d‘une atmosphère typique des années 60 et 70. Ce faisant, Wiegand intègre trois époques différentes dans le tableau comme si de rien n‘était.
Seulement ici, personne ne semble surpris par la situation. Le visage de la femme assise, peint à gros coups de pinceau à l’égal du sol et des vêtements – en écho au style grotesque de James Ensor et de Edvard Munch –, est sérieux et pensif. Chacun semble occupé par ce qu‘il fait, apparemment détaché intérieurement.
Pourtant, les personnages sont clairement connectés, non seulement par l‘espace physique de la toile et l’espace intérieur représenté, mais aussi par le cercle qu‘ils forment et qui les réunit.
Wiegand parfait ce lien par des outils de transe qui permettent d‘accéder à des états de conscience modifiés, à des moments qui existent au-delà du présent, ou qui aident à lâcher prise et à se connecter aux autres.
L‘alcool est l‘un de ces outils, symbolisé par les bouteilles de bière et les verres disséminés sur presque toutes les toiles. D‘autres éléments de soutien mental et de réconfort, liés à une spiritualité alternative – comme les cartes de tarot ou l’horoscope – apparaissent ça et là.
Stella, El hombre invisible, par exemple, mélange aussi des références d’objets pop ésotériques – le tee-shirt en batik de la femme allongée en diagonale sur la toile et la lampe à lave inventée en 1963 – avec la consommation d‘alcool, le tout sur un fond terreux indéfini.
Difficile de dire d‘où viennent ces personnages ou depuis combien de temps ils se tiennent là, dans cet état songeur et languissant. Après tout, on ne peut pas boire indéfiniment dans un verre ballon… et pourtant, mille heures semblent s‘écouler en une seule seconde.
Être là ensemble, aidé de substances ou d’autres moyens symboliques, qui nous connectent aux autres, au passé et au futur; atteindre des états au-delà de la réalité concrète et matérielle, pour accéder à des souvenirs, à ce qui est mort mais qui est toujours là et qui nous traverse ; s’ouvrir au fait que des croyances telle que l’astrologie, que l’on y adhère ou non, ont un véritable sens dans la société: tout cela relève de la perception du temps comme d’une entité relative.
Cette approche est la base d’un décloisonnement entre la réalité, le langage, l’irrationnel et l’invisible.
Accompagné d’une réflexion portant sur l’héritage des années 60 et 70 – une époque marquée par son lot d‘utopies, de libérations et de déceptions – les peintures de Sebastian Wiegand nous invitent à plonger dans la riche tapisserie des expériences partagées et à explorer les liens inconscients qui nous, les morts comme les vivants, nous unissent.
Oriane Durand